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Benjamin Stora : « Les accords de 1968 entre la France et l’Algérie sont vidés de leur substance depuis longtemps »
Historien reconnu et spécialiste de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora publie un nouvel ouvrage intitulé France-Algérie : Anatomie d’une déchirure (éd. Les Arènes), coécrit avec Thomas Snégaroff. À l’occasion de la dénonciation par la France de l’accord de 1968, il revient, dans un entretien accordé au journal français La Voix du Nord, sur l’histoire et la portée de ce texte qui régissait la circulation et le séjour des personnes entre les deux rives de la Méditerranée.
En 1962, les accords d’Évian prévoyaient une libre circulation totale entre la France et l’Algérie. « Celle-ci visait surtout les Français d’Algérie, mais les travailleurs algériens ont également traversé la Méditerranée et contribué au développement de la France », rappelle Benjamin Stora. Six ans plus tard, le général de Gaulle décide de réguler ces flux migratoires : « En 1968, les frontières deviennent plus strictes, y compris pour les Algériens, malgré quelques compensations. »
L’historien rejette l’idée d’un quelconque traitement de faveur : « En 1974, Valéry Giscard d’Estaing ferme les frontières à l’immigration. En 1986, les Algériens doivent obtenir un visa. En 1993, de nouvelles restrictions touchent particulièrement les étudiants étrangers. Même durant la guerre civile des années 1990, la France n’a pas ouvert ses frontières. »
Pour Stora, la dénonciation de l’accord de 1968 a une dimension symbolique forte : « En Algérie, cette décision est vécue comme une vexation supplémentaire. Ce débat est instrumentalisé par une partie de la classe politique française pour entraver le travail mémoriel. Comme si la guerre d’Algérie n’était pas terminée. »
L’historien déplore que ces crispations diplomatiques pèsent également sur les relations culturelles : « Ce genre de comportement entrave les efforts pour obtenir la libération de l’écrivain Boualem Sansal et du journaliste Christophe Gleizes. »
Avec ce nouvel ouvrage, Benjamin Stora entend éclairer les incompréhensions persistantes entre les deux pays et rappeler, selon ses mots, « la longue histoire d’une déchirure jamais totalement refermée ».

