20
Mai
Interview avec Gilles Carbonnier, Vice-président du CICR : « Je salue l’engagement de l’Algérie en faveur du droit international humanitaire »

En visite en Algérie pour des consultations avec les autorités et à l’occasion des réunions de la Banque islamique de développement, le vice-président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), Gilles Carbonnier, a accordé une interview à Casbah Tribune. Il revient sur les priorités humanitaires de l’institution, les axes de coopération avec l’Algérie, les défis migratoires, ainsi que sur la tragédie en cours à Gaza, où le CICR est engagé aux côtés des victimes du conflit.
Présent en Algérie de 1956 à 1962, puis de 1999 à aujourd’hui, le CICR a de tout temps soutenu les autorités algériennes dans l’implémentation et la promotion du droit international humanitaire DIH, visité les lieux de détention, coopéré avec le Croissant rouge algérien et appuyé les efforts internationaux pour renforcer le respect du DIH.
Casbah Tribune : Gilles Carbonnier, la coopération avec le CICR se limite-t-elle toujours aux visites de prisons ou prend-elle d’autres formes ?
Gilles Carbonnier : La coopération se poursuit effectivement en ce qui concerne les visites de lieux de détention. Mais au-delà de cela, plusieurs autres activités continuent de se développer pour le CICR en Algérie. Ce sont des activités qui, pour la plupart, ont commencé à prendre forme il y a déjà plusieurs décennies, notamment durant la guerre d’indépendance, et qui se sont ensuite poursuivies dans la durée.
Une activité particulièrement importante est, comme vous l’avez mentionné, la visite des lieux de détention par les délégués du CICR, comme cela se fait partout dans le monde. Cela se déroule selon nos modalités : nous choisissons certains établissements que nous visitons pour évaluer les conditions de détention et nous entretenons avec les personnes privées de liberté, notamment au sujet de leur traitement. Ce travail débouche ensuite sur un dialogue privilégié, direct, franc et confidentiel avec les autorités pénitentiaires, en vue d’identifier des pistes d’amélioration et d’offrir un soutien. Cette mission se poursuit dans l’ensemble du pays, en coopération avec le ministère de la Justice et les autorités pénitentiaires, et repose sur une confiance construite au fil du temps entre le CICR et les autorités algériennes.
La coopération passe-t-elle aussi par un dialogue sur le droit international humanitaire ?
Oui, c’est une activité tout aussi importante. La promotion du droit international humanitaire (DIH) s’effectue notamment à travers un engagement avec le ministère de la Défense et les forces armées sur les règles applicables en temps de conflit, ainsi que sur la connaissance et la mise en œuvre du DIH. Il s’agit d’un travail de diffusion, mais aussi de collaboration avec le ministère de la Justice concernant les engagements de l’Algérie, notamment via la Commission nationale pour le droit international humanitaire. Cela inclut le travail de ratification et d’intégration de ces normes dans la législation nationale.
Concernant le Croissant-Rouge algérien, êtes-vous satisfait de votre coopération avec cette institution ?
Nous travaillons en soutien à de nombreuses activités menées par le Croissant-Rouge algérien, qui dispose d’une présence très étendue sur le terrain, auprès des communautés, grâce à un réseau de volontaires capables de fournir une réponse immédiate. Par exemple, lors des récentes inondations, ce sont eux qui ont été les premiers à intervenir localement, et nous les avons appuyés dans leurs efforts.
Le Croissant-Rouge algérien joue également un rôle essentiel dans le rétablissement des liens familiaux, en particulier pour les migrants ou les personnes détenues. Ce travail s’inscrit dans le cadre du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, auquel nous appartenons.
Enfin, nous partageons les principes fondamentaux qui nous unissent : humanité, impartialité, neutralité et indépendance. Vous avez raison de rappeler que les sociétés nationales comme le Croissant-Rouge sont des auxiliaires des pouvoirs publics dans leur pays, ce qui n’est pas le cas du CICR, qui reste strictement indépendant. Il est essentiel que cette indépendance soit garantie, y compris sur le plan juridique, par la législation nationale. Cela semble être bien le cas en Algérie.
La question migratoire est aujourd’hui cruciale. Quel est exactement le rôle du CICR face à ce phénomène en Algérie ?
Le CICR s’intéresse d’abord aux conséquences humanitaires de la migration. Ce phénomène, que l’on observe sur tous les continents, affecte des pays d’origine, de transit, et de destination. C’est un enjeu global qui nous concerne tous.
Lors de la dernière conférence internationale à Genève en octobre, notre Mouvement a adopté une stratégie cohérente fondée exclusivement sur des considérations humanitaires. Car chaque migrant reste avant tout un être humain dont la dignité doit être préservée.
Nos moyens étant limités, notre action en Algérie se concentre surtout sur le rétablissement du lien familial. Cela inclut, par exemple, les cas de personnes migrantes détenues qui ont perdu le contact avec leur famille. Le CICR facilite alors l’échange de nouvelles et la restauration des liens familiaux. Cette activité est menée en étroite collaboration avec le Croissant-Rouge algérien.
Nous intervenons également dans d’autres pays de la région, comme le Mali ou le Burkina Faso, et menons un dialogue humanitaire avec diverses autorités à travers le monde, y compris en Europe.
Concernant la situation humanitaire à Gaza, on a peu entendu le CICR. Que faites-vous concrètement sur place ?
Je tiens à rappeler que le CICR est actif à Gaza depuis des décennies, et particulièrement depuis octobre 2023. Nous sommes pleinement mobilisés en faveur de toutes les victimes des hostilités, qui ont atteint une intensité dramatique.
Nous avons notamment installé un hôpital de campagne, où travaillent des collègues venant de plusieurs sociétés nationales, y compris des chirurgiens, des médecins et des infirmiers. Nous apportons également un soutien essentiel dans les domaines de la sécurité économique, de l’approvisionnement alimentaire, de la nutrition, de l’accès à l’eau potable, ainsi qu’en matière de prévention des épidémies.
Nous soutenons aussi les hôpitaux existants et le système de santé à Gaza, et nous travaillons en collaboration étroite avec le Croissant-Rouge palestinien.
Sur le plan du droit international humanitaire, le CICR s’est exprimé à plusieurs reprises dès le début des hostilités, pour appeler à un meilleur respect des Conventions de Genève. Nous menons un dialogue régulier et confidentiel avec toutes les parties au conflit — y compris les autorités israéliennes et le Hamas — afin de rappeler leurs obligations en matière de protection des civils, de traitement des prisonniers et de libération des otages. Ces derniers doivent, selon le droit international, être libérés sans condition, traités humainement et avoir accès aux soins.
Avez-vous réclamé des enquêtes internationales concernant les membres du CICR tués dans ce conflit ?
Nous avons malheureusement perdu plusieurs collègues depuis le 7 octobre, dans des circonstances tragiques, de même que de nombreux volontaires du Croissant-Rouge palestinien. À chaque fois, nous avons communiqué sur ces pertes et œuvré pour que cela ne se reproduise pas.
Cependant, le CICR ne réclame pas directement d’enquêtes internationales. Ce rôle revient à d’autres acteurs. Notre priorité est de rester présents sur le terrain, d’assurer la sécurité de nos équipes et de continuer à fournir une aide humanitaire vitale, tout en maintenant un dialogue constant avec les parties au conflit afin que les règles fondamentales du droit international humanitaire soient respectées.
Je veux également ajouter que le Brésil, la Chine, la France, la Jordanie, le Kazakhstan et l’Afrique du Sud ont lancé une initiative mondiale visant à revitaliser l’engagement politique en faveur du droit international humanitaire et appellent à la tenue d’une réunion de haut niveau. Et je salue à cette occasion que l’Algérie ait décidé de rejoindre cet appel.