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Entretien avec Jean-Pierre Mignard : « La colonisation a meurtri le peuple algérien et corrompu notre mémoire »

Jean-Pierre Mignard est un avocat et un homme politique français, connu pour son engagement dans plusieurs causes publiques et sa proximité avec certaines personnalités politiques. Il est notamment un spécialiste du droit pénal et du droit public. Il a exercé pendant plusieurs années au barreau de Paris. Il a également été un proche conseiller de l’ancien président français François Hollande. Il revient dans un entretien accordé à Casbah Tribune sur la relation algéro-française.
Jean-Pierre Mignard, les relations entre la France et l’Algérie sont particulièrement tendues ces derniers mois après la décision injustifiée de la France de ne reconnaître que le plan marocain d’autonomie sur le Sahara occidental. Comment expliquez-vous cette escalade des tensions et quels pourraient être les leviers pour apaiser la situation ?
La décision française a surpris, sauf le milieu diplomatique. Nul n’y était préparé et, pour être honnête, ce sujet n’est pas discuté en France. Il relève de la vie politique algérienne et marocaine. Ce revirement français a été perçu comme un choix plutôt opportuniste de renouer avec le Maroc, qui n’est pas dupe. Le rôle de médiateur était plus justifié qu’un tel alignement. L’Algérie et la France officielles ne se parlent plus.
Or, pour sortir de cette impasse, on pourrait revoir les Accords de 1968 dans le sens de leur amélioration dans tous les domaines, y compris, bien sûr, celui de la coopération en matière de circulation. Ensuite, la santé et l’Université devraient être les deux leviers de l’entente entre nos deux pays.
Le ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau semble jouer un rôle central dans l’agitation actuelle autour des relations algéro-françaises. Quel impact ces prises de position ont-elles sur les relations diplomatiques entre les deux pays ?
Elles contribuent à détériorer la relation franco-algérienne. M. Retailleau est d’une hostilité envers l’Algérie qu’il ne parvient pas à cacher. C’est un reste de la guerre d’Algérie et une nostalgie revancharde. Or, les traités de 1968 et suivants sont sous la responsabilité du président de la République et de personne d’autre. C’est la Constitution. C’est à lui d’intimer au Ministre de l’Intérieur de faire preuve de retenue. C’est aux deux présidents de gérer cette situation et à eux seuls ou leurs envoyés.
Certains observateurs affirment que la France adopte un discours paternaliste et même parfois négationniste vis-à-vis de l’Algérie. Pensez-vous que cette perception est justifiée ? Et si oui, quelles sont les conséquences d’une telle posture ?
La France a du mal à revisiter son histoire coloniale. Dès 1965, une loi d’amnistie a verrouillé tout examen judiciaire pour les faits commis en relation avec « les événements d’Algérie ». Soit, mais alors la France a un devoir de vérité avec elle-même sur son histoire. Un des bilans de cet affrontement, dont la France porte la responsabilité, ce sont les 5 millions de binationaux franco-algériens. Les deux pays partagent une partie de leur population. Soyons audacieux, faisons tomber les barrières à chaque fois que cela est possible. Le levier est là, la vie est là, partons de là.
Les mémoires de la guerre d’Algérie et les affres de la colonisation restent un sujet extrêmement sensible. Comment la France pourrait-elle aborder ce passé de manière sérieuse afin de construire une relation de respect et de coopération avec l’Algérie ?
En étant scrupuleuse et honnête avec elle-même. La colonisation a meurtri le peuple algérien et elle a corrompu notre mémoire. Il faut refaire le chemin ensemble.
Dans un tweet récent, vous avez écrit que l’Algérie est un grand pays qu’on ne peut pas traiter comme un dominion. Qu’entendez-vous par là, et comment cette déclaration s’inscrit-elle dans le contexte des tensions actuelles entre nos deux nations ?
L’Algérie est un grand pays avec une population jeune, le plus grand pays d’Afrique, dont beaucoup parlent encore notre langue. Il est respectable et il doit être respecté. Il est incontournable en Afrique et un pilier potentiel des relations avec la France et l’Europe. Mais justement, lorsque les Français parlent de l’Algérie, et pas seulement les dirigeants, ce doit être avec des égards particuliers qui grandiront l’un et l’autre des deux pays, non pas condamnés mais heureux de vivre côte à côte.